Taxi Driver : Le Duo Robert De Niro et Jodie Foster Décrypté

Sommaire

• La Genèse : Scorsese, Schrader et le New Hollywood
• Robert De Niro : L’immersion totale dans la folie
• Jodie Foster : Une enfant au cœur des ténèbres
• La dynamique Travis et Iris : Sauvetage ou Obsession ?
• L’esthétique du cauchemar urbain
• L’héritage culturel et l’affaire Hinckley
• Que sont-ils devenus ? (Vidéos)
• Glossaire Technique
• Foire Aux Questions

La Genèse : Scorsese, Schrader et le New Hollywood

Pour comprendre la puissance de Taxi Driver, il faut se replacer dans le contexte du milieu des années 70. Le cinéma vit sa révolution du New Hollywood, une période où les studios comme Columbia Pictures laissent le pouvoir aux réalisateurs « auteurs ». C’est dans ce climat de liberté créative que Martin Scorsese décide de porter à l’écran un script sombre et viscéral.

Le scénario est signé Paul Schrader. Ce dernier ne l’a pas écrit comme une simple fiction, mais comme une thérapie. Traversant une grave dépression, vivant dans sa voiture et fréquentant les cinémas pornographiques, Schrader a injecté sa propre solitude maladive dans le personnage de Travis Bickle. Le script est une radiographie de l’aliénation urbaine.

Lorsque Martin Scorsese s’empare du projet, il y infuse sa vision quasi-documentaire de New York. Loin de la ville touristique, il filme une métropole en faillite, sale, dangereuse et étouffante. C’est ce réalisme crasseux qui va servir d’écrin aux performances historiques de Robert De Niro et de la jeune Jodie Foster.

Robert De Niro : L’immersion totale dans la folie

Si la performance de Robert De Niro est citée dans toutes les écoles d’art dramatique, c’est grâce à son adhésion radicale au Method Acting, une technique héritée de l’Actors Studio. L’acteur ne voulait pas « jouer » un chauffeur de taxi ; il voulait « être » ce chauffeur.

Une préparation physique et psychologique

Avant même le premier tour de manivelle, Robert De Niro a obtenu une véritable licence de chauffeur de taxi new-yorkais. Pendant plusieurs semaines, il a conduit de vrais clients, travaillant souvent des quarts de 12 heures, tout en tournant en parallèle le film 1900 de Bernardo Bertolucci en Italie. Cette fatigue réelle accumulée se lit sur son visage à l’écran.

Pour parfaire la transformation, il a perdu près de 15 kilos, adoptant une allure émaciée qui traduit le mal-être intérieur de Travis. L’idée de la coupe de cheveux « Mohawk » (la crête iroquoise) pour la scène finale vient d’ailleurs de Robert De Niro lui-même. Il s’est inspiré des photos de soldats américains au Vietnam, suggérant que Travis se prépare à une « mission de guerre » dans sa propre ville.

Le génie de l’improvisation

La scène la plus emblématique du film n’était même pas écrite. Le script indiquait simplement : « Travis se regarde dans le miroir ». Seul face à son reflet, Robert De Niro a improvisé le monologue « You talkin’ to me? ».

Cette répétition obsessionnelle illustre la schizophrénie naissante du personnage. Travis répète son discours car dans sa tête, il est un héros qui s’adresse à une foule, alors qu’en réalité, il est seul dans un appartement miteux. C’est l’essence même de la solitude que Martin Scorsese a su capturer.

Jodie Foster : Une enfant au cœur des ténèbres

Le choix de Jodie Foster pour incarner Iris Steensma, une prostituée de 12 ans, reste l’un des paris les plus audacieux de l’histoire du casting. À l’époque, l’actrice était déjà une professionnelle aguerrie, ayant joué dans des publicités et le film Alice n’est plus ici, également de Scorsese. Cependant, la nature du rôle posait des problèmes éthiques et légaux majeurs.

Un encadrement juridique et familial strict

Le California Welfare Board (bureau de protection sociale) a initialement opposé son veto à la participation de l’enfant. Pour obtenir l’autorisation, la production a dû accepter des conditions draconiennes. Un psychologue devait être présent sur le plateau pour s’assurer que Jodie Foster ne subissait aucun traumatisme émotionnel.

De plus, l’actrice n’avait absolument pas le droit de jouer les scènes à caractère sexuel explicite ou d’entendre certains dialogues trop crus. C’est ici qu’intervient une astuce de cinéma méconnue du grand public : l’utilisation d’une doublure familiale.

Le rôle caché de Connie Foster

Pour contourner ces interdits, c’est Connie Foster, la sœur aînée de Jodie Foster, âgée de 19 ans à l’époque, qui a servi de doublure corporelle. Dans les plans serrés ou les scènes suggestives impliquant le personnage d’Iris, c’est en réalité le corps de Connie que l’on voit à l’écran. Ce stratagème a permis de protéger l’intégrité de la jeune actrice tout en conservant la noirceur nécessaire au récit du film.

La dynamique Travis et Iris : Sauvetage ou Obsession ?

La relation entre Travis et Iris est le pivot moral de Taxi Driver. Travis, dégoûté par ce qu’il appelle la « saleté » des rues, voit en Iris une figure d’innocence corrompue qu’il doit impérativement sauver. Pourtant, l’interprétation nuancée de Jodie Foster montre une réalité plus complexe.

Iris n’est pas une simple victime en détresse. Elle fait preuve d’une maturité déconcertante et semble, au début, accepter son sort sous la coupe de son souteneur, Sport (joué par un terrifiant Harvey Keitel). Lors de la célèbre scène du petit-déjeuner entre Travis et Iris, c’est elle qui mène la conversation, tandis que Travis semble déconnecté.

L’ironie tragique du film réside dans le fait que Travis ne cherche pas tant à sauver Iris pour elle-même, mais pour valider sa propre existence. En « nettoyant » la rue, il cherche à devenir quelqu’un. Le massacre final, d’une violence inouïe, est l’aboutissement de cette quête d’identité par le sang.

Le miroir inversé avec Cybill Shepherd

Il est impossible d’analyser le rôle d’Iris sans évoquer Betsy, jouée par Cybill Shepherd. Betsy est l’ange blond, inaccessible, travaillant pour un politicien. Travis l’idéalise, mais échoue lamentablement à la séduire (en l’emmenant voir un film pornographique, preuve de son inadaptation sociale).

Le rejet de Betsy pousse Travis vers Iris. Si l’ange blanc (Betsy) ne veut pas de lui, il sauvera l’ange déchu (Iris). Ces deux figures féminines représentent les deux faces de l’obsession de Travis : le désir de pureté et la confrontation avec le vice.

L’esthétique du cauchemar urbain

Au-delà du jeu des acteurs, Taxi Driver est une merveille technique. La photographie de Michael Chapman utilise les néons de New York pour créer une ambiance d’enfer moderne. La vapeur qui sort des bouches d’égout donne l’impression que le taxi de Travis navigue sur le Styx.

Enfin, impossible d’ignorer la partition musicale de Bernard Herrmann, célèbre compositeur d’Alfred Hitchcock (notamment pour Psychose). Il s’agit de sa toute dernière œuvre avant sa mort. Sa musique, mélangeant des cuivres menaçants et un saxophone jazz mélancolique, illustre parfaitement la dualité de Travis : un homme triste qui se transforme en monstre.

L’héritage culturel et l’affaire Hinckley

L’impact de Taxi Driver a dépassé le cadre du cinéma, parfois de manière tragique. En 1981, John Hinckley Jr., un homme obsédé par le film et fixant une passion maladive sur Jodie Foster, a tenté d’assassiner le président des États-Unis, Ronald Reagan.

Il a déclaré avoir commis cet acte pour « impressionner » l’actrice, mimant le comportement de Travis Bickle qui prévoyait d’assassiner un sénateur. Cet événement a profondément marqué Jodie Foster, qui s’est retirée de la vie publique pendant ses études à l’université de Yale pour échapper à cette attention médiatique malsaine.

Que sont-ils devenus ?

Cinquante ans plus tard, les carrières de Robert De Niro et Jodie Foster prouvent que leur talent n’était pas éphémère. Ils sont devenus des piliers d’Hollywood.

Robert De Niro a su diversifier son jeu, alternant entre films de mafia (Les Affranchis, Casino) et comédies (Mon beau-père et moi). Récemment, il a retrouvé Martin Scorsese pour le crépusculaire The Irishman, une œuvre qui semble dialoguer avec la violence de ses rôles de jeunesse.

De son côté, Jodie Foster a remporté deux Oscars (pour Les Accusés et Le Silence des Agneaux) et s’est imposée comme une réalisatrice de talent (Little Man Tate, Money Monster). Elle sélectionne ses projets avec une exigence rare, comme récemment dans la série True Detective.

En 2025, Robert De Niro revient encore sur le devant de la scène avec The Alto Knights, prouvant qu’à 80 ans passés, il reste une force inépuisable du cinéma.

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Glossaire Technique

Method Acting

Technique d’interprétation immersive (issue du système de Stanislavski) où l’acteur puise dans sa propre mémoire affective et vit réellement les conditions de vie du personnage.

New Hollywood

Mouvement cinématographique américain (fin des années 60 au début des années 80) caractérisé par la prise de pouvoir des réalisateurs sur les studios, abordant des thèmes sociaux, violents et contre-culturels.

Neo-Noir

Genre cinématographique reprenant les codes du film noir classique (cynisme, crime, anti-héros) mais avec des thématiques modernes et souvent en couleur, comme c’est le cas pour Taxi Driver.

Palme d’Or

Récompense suprême décernée au Festival de Cannes. Taxi Driver l’a remportée en 1976 sous la présidence de Tennessee Williams, malgré la controverse sur sa violence.

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Foire Aux Questions

Quel âge avait vraiment Jodie Foster dans Taxi Driver ?

Jodie Foster avait 12 ans lors du tournage en 1975. Pour respecter la législation du travail des enfants en Californie, elle ne pouvait travailler que quatre heures par jour et était suivie par des tuteurs et travailleurs sociaux.

Pourquoi la scène finale de Taxi Driver fait-elle débat ?

La fin du film est volontairement ambiguë. Certains critiques pensent que la séquence où Travis est perçu comme un héros est un rêve délirant de l’esprit du personnage mourant. Paul Schrader a cependant déclaré que la fin était réelle, illustrant l’ironie des médias qui transforment un psychopathe en héros d’un jour.

Est-ce que Robert De Niro a vraiment conduit un taxi ?

Oui. L’acteur a obtenu sa licence de taxi (toujours visible au Harry Ransom Center au Texas) et a conduit de vrais clients new-yorkais. Une anecdote célèbre raconte qu’un passager, reconnaissant l’acteur oscarisé pour Le Parrain 2, lui aurait demandé : « Tu as gagné un Oscar, mon gars, pourquoi tu conduis un taxi ? ».

Qui devait réaliser Taxi Driver à l’origine ?

Avant que Martin Scorsese ne s’engage, le projet a été proposé à d’autres réalisateurs. Brian De Palma a été envisagé, mais les producteurs ont finalement choisi Scorsese après avoir vu son film Mean Streets, convaincus qu’il était le seul capable de capturer l’essence de la rue new-yorkaise.

Quel est le lien entre Jodie Foster et John Hinckley Jr ?

John Hinckley Jr. a développé une érotomanie envers Jodie Foster après avoir vu le film des dizaines de fois. Sa tentative d’assassinat sur Ronald Reagan en 1981 visait uniquement à attirer l’attention de l’actrice, un drame qui a lié à jamais l’histoire du film à l’histoire politique américaine.